Alnawab Shafik

Voir la liste des oeuvres de l'artiste

L’œuvre d’Alnawab est riche de la mémoire des peuples.
Elle suit la lente avancée des nomades touaregs, s’abreuve à la limpide et froide clarté des nuits du désert, habitées d’étoiles à l’infini, enveloppante présence;
elle se nourrit de l’atmosphère colorée et odorante des souks de Marrakech, d’étals soudain délaissés à l’appel du muezzin et recouverts de draps, de cette étoffe passée, décolorée par le soleil et les vents, tachée de melon jaune, déchirée, frémissante de tant de vies;
elle s’imprègne de ces murs de Venise, enduits de chaux vibrants dans la lumière, moussus de tant d’humidité, craquelures du temps;
elle raconte Thaula, la ville yéménite qui se confond dans l’ocre de la colline, l’heure du qât où les feuilles macèrent dans les joues rebondies, le chicot enivrant qui vide les ruelles; elle s’émerveille devant ces portes de bois peintes, patinées par les siècles, creusées des vents de sable, aux couleurs estompées, signes effacés, pigments à nouveau étalés pour les revivifier;
elle se souvient encore des bistrots du désert, burnous perchés sur les hauts bancs, à l’abri des scorpions, du bruit du nargileh attisant le charbon, du profil rougeoyant, un instant apparu, qui retombe dans la nuit avant qu’un autre nargileh ne fasse entendre son chant, que surgisse un autre visage.

L’œuvre d’Alnawab s’est détachée des doctes enseignements; elle a trouvé ses maîtres dans les traces du temps, dans la trace des hommes. Feuillets anciens, tissus et cuirs fatigués, morceaux de bois ou de métal issus d’objets oubliés, renaissent d’une vie nouvelle dans ses compositions, sous l’huile délayée, les couleurs transparentes.

Les écritures s’y mêlent – persane, arabe, berbère – mais point en calligraphie soignée. On est à l’opposé de l’art islamique, de la rigueur absolue, comme du geste inspiré tracé d’un épais pinceau encré de noir. Pas de textes sacrés, de Coran signifiant, de sourates imprécatrices, ni de Talmud vertueux. L’écriture est celle du quotidien, des médiocres éditions de rue, messages d’amitié et d’amour; elle fait la part aux répertoires ésotériques de quelque magicien de bazar, lance d’indicibles imprécations; elle dessine des symboles berbères, alphabet du désert; elle puise quelques mots simples disant la mer, le soleil et le sable, redevient insaisissable, retrouve son mystère, finit simple ondulation, libre et chantante. Ces écritures se jouent du sens, textes incompréhensibles et donc encore plus beaux, car chacun y entend sa propre musique. Tracées par Alnawab , mais comme par mille mains, gorgées de mille choses et de nos souvenirs.
De la poussière du temps, des éraflures, lambeaux déchirés, feuillets arrachés, rehaussés d’accents vivement colorés, une infinie poésie se dégage. Devant ses portes, ses stèles, suggérées, rêvées, face à ces pages messagères d’un autre âge, d’une autre sagesse, un sens aigu du sacré nous submerge. L’on devient héritier d’une longue histoire humaine; s’ouvre devant nous le champ infini du savoir, souffle le vent d’une haute spiritualité.
Pour mieux échapper au contexte banal, se séparer du mur, une vitrine enchâsse ces moments d’éternité, en abrite les secrets.

Alnawab se situe bien loin des propositions absconses qui ne peuvent se départir d’un discours cérébral pour en justifier la valeur, des chapelles et des modes qui font les renommées au gré des influences et des intérêts. Ses œuvres vous emportent, par une étonnante alchimie, dans un monde quasi mystique, chargé d’indescriptible beauté, de spiritualité et de simplicité. Elles vous invitent à regarder au-delà des choses. Elles témoignent d’une maturité et d’un aboutissement qui s’épanouissent sans se répéter.

Yves Callet Molin

Exposition du 23.11.1999 au 23.12.1999