Lehmann Rolf (*1930/+ 2005)

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La gravure suisse compte en Rolf Lehmann l’un de ses représentants majeurs. Non pas tant parce qu’il est l’un de ceux qui en réalisent les planches les plus imposantes (encore que seuls les techniciens hors pairs et les créateurs doués d’ampleur de geste et de vision sont capables de maîtriser des cuivres aussi grands), mais parce qu’il sait en virtuose y entrelacer l’intime avec le monumental; y conjuguer la ligne tendue et construite avec la tache spontanée qui semble naître sous le regard; y faire chanter à la fois les bruissements mystérieux de l’informel et le silence clair de la géométrie. Avec la complicité attentive et experte du maître-imprimeur Raymond Meyer, son interprète de longue date, il s’y entend à merveille aussi pour marier les transparences fluides des encres avec la chair grenue du papier; semer à la volée les plus fines poussières d’étoiles, mais aussi faire pénétrer profondément la morsure de l’acide dans le métal pour que de son corps ravagé naissent des obscurités terribles et somptueuses; scarifier la peau de cuivre d’une résille de signes et de trajectoires microscopiques, ou faire saigner une coulure sombre sur une tranche de lune écarlate découpée au scalpel.

Hors de toute littérature et de toute référence figurative, l’oeuvre du Bernois d’Yverdon est pure poésie visuelle et métaphysique. Elle a choisi de se placer toute entière au point d’intersection instable et ténu qui fait charnière entre le mental et l’organique: d’un côté la grande horloge planétaire régie par les lois de l’harmonie absolue. De l’autre, le désordre de la vie qui s’insinue dans la parfaite mécanique, chamboule la belle épure immobile avec ses poussées obscures et irrationnelles,. ses soubresauts imprévisibles et ses élans lyriques. Entre la rigueur nue de l’esprit et l’effervescence hasardeuse de l’instinct, c’est sous le signe de l’intuition que se concluent leurs noces éphémères. Car l’intuition est ce sixième sens quasi divinatoire qui donne accès aux territoires secrets de l’indicible.

Françoise Jaunin