Une harmonie subtile de gris et de bleus. La toile vibrant des strates déposées du sombre vers la clarté. La composition révèle un en-haut et un en-bas, ciel et terre ou profondeurs océanes. Surgissent des enrochements, blocs hiératiques, jaillisements telluriques. Ailleurs se devine quelque bourgade accrochée au relief, dévalant la colline, silhouettes à peine figurées de quelques rehauts blancs. L’œil parcourt la toile, en isole des fragments qui forment autant de tableaux au sein du tableau.
Anita Malagré compose ses toiles comme on part à l’aventure, sans boussole ni repères, mais tous les sens aiguisés, à l’affut des sensations qui guident sa main au son des variations Goldberg de Bach, d’un jazz enveloppant ou des sonorités de la guitarre classique vénézuélienne. Peu à peu, un monde apparaît, se dessine, s’impose. De sa réserve de papiers de lointaines provenances, du voile le plus fin au plus structuré, elle soutire des fragments, les déchire, les ponce, y apporte quelques touches colorées qui prennent sens, les noie au sein de la toile. Longues hésitations, lent murissement, des jours durant pour s’assurer de la justesse d’un trait, d’une intention, tant les possibles sont ouverts. Décantation.
L’œuvre d’Anita Malagré est toute en nuances et raffinements. Ses teintes privilégient les tons sourds, les gris rares et doux, composés de couches enfouies, comme une sorte de synthèse apaisée, richesse intérieure et discrète. Elle est équilibre et poésie, calme et tension, yin et yang ; elle porte à la méditation, nous invite à pénétrer un monde qui se dévoile toujours plus avant. On y sent la pulsation de l’univers, les forces bouillonnantes de la tectonique des plaques, les vibrations d’une âme riche infiniment des mystères du monde.
Depuis 2003, nous suivons, fascinés, l’expression sans cesse renouvelée et toujours solidement ancrée d’Anita Malagré. A l’apogée de son art, l’exposition de l’automne 2010 avait imposé la plénitude de son talent sur des formats généreux qui transcendent son travail. La subtile complexité de ses toiles, dont l’abstraction se construit d’une figuration allusive, l’harmonie paisible qui s’en dégage, la force vibrante de ses compositions, les déséquilibres, les jaillissements participent de cette œuvre majeure et aboutie. Ce nouvel accrochage révèle l’accomplissement de ces deux dernières années de travail. Anita Malagré vit pour son art, la musique est sa muse. Nous sommes les spectateurs privilégiés de cette « poétique du chaos » qu’elle nous offre en partage.
Yves Callet-Molin
Première exposition en Suisse en 2003, dans cette même galerie qui l’accueille régulièrement depuis lors.
Expositions récentes (sélection): 2005 : Avignon, Parcours de l’Art. 2006: New-York, Boston, Paris – Galerie La Lune.