Quand un sculpteur se met à la gravure, il utilise ce moyen d’expression pour ses qualités tridimensionnelles avant ses possibilités graphiques. C’est le cas de Carles Valverde, jeune Catalan établi en Suisse depuis 1990, qui crée des constructions métalliques à la fois ludiques – des blocs s’assemblent à volonté – et ascétiques de par la simplicité et la pureté des formes. En gravure, il joue aussi de l’assemblage de pièces, telles des plaques d’acier taillées à la cisaille, pour obtenir une empreinte, c’est-à-dire une estampe sans encrage, où seuls les reliefs et les creux constituent l’image. Et plutôt que de gaufrer du papier, il soumet à la pression de la presse en taille-douce un matériau qui lui est connu, le plomb. Ce procédé éminemment personnel est d’une grande complexité, impliquant un collage à sec avec carton, feuille, plomb et papier appliqué. L’artiste dit lui-même que ce n’est pas tant les matrices qui créent l’estampe que l’ensemble du processus qu’il réalise dans l’atelier de Raymond Meyer à Pully, lieu de rencontre et de savoir-faire qu’il apprécie, et que l’image est la mise en mémoire de ces différentes opérations dans l’espace et le temps.
Ses estampes sont constituées de séries ouvertes, déclinaison de possibles sur un thème. La rigueur interne due à une composition rigoureuse se transforme en un rythme qui se déploie librement. Les quatre gravures de L’Oeuvre sont ainsi tant des pièces individuelles qu’un groupe de deux, trois ou quatre qui devient une nouvelle création en soi. L’œuvre va d’ailleurs se modifier selon le lieu où elle sera exposée, le plomb offrant une surface réflexive qui change de couleur et de luminosité par influence de l’entourage. L’ambiguïté du matériau, à la fois chaud et froid, mat et brillant, dur et souple, intéresse Carles Valverde qui y voit une forme d’alchimie. Sachant porter une écoute attentive aux accidents de parcours, raies, découpes irrégulières, empreintes indirectes, il laisse ses gravures s’échapper de l’univers du mental pour participer au monde vivant.
Les couleurs offertes par les différents papiers et le métal appliqué relèvent non du pictural mais de l’essentiel. Les matériaux se dévoilent nus, dans un sobriété soudain riche de par les juxtapositions créées par l’artiste. Ainsi, Carles Valverde révèle la sensibilité du sculpteur qu’il est, non pas tant par sa maîtrise de l’espace dans toutes ses dimensions, que par sa mise en valeur des pouvoirs de la matière elle-même.
Nicole Minder